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Comme les hommes, les peuples et les nations qui oublient leur histoire cessent d'exister!


Plan des pages consacrées au département du Calvados

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L'étau:
Les maquis,
Les réseaux,
La carte du mur
de l'Atlantique,
La mise à jour
des défenses du mur
de l'Atlantique,
La stratégie d'Hitler,
Commandement et
organisation alliée,
Le dilemme d'Anzio,
le plan de marche
des troupes alliées,

Les bombardements
préliminaires
en Allemagne,

L'opération Crossbow,
Le pillage de la SNCF
après l'Armistice

Le plan rail,
Plan vert,
Sabotages et
bombardements:
les effets,

Bombardements ultimes,
Les révélations d'Ultra,
Les jedburghs,
Fortitude: Où
repousser les alliés?,
We must give the order!,
Le parachutage de
la 6ème Airborne,
The bloody Omaha,
Eisenhower et le D-Day,
L'installation d'Omaha,
la conquête d'Isigny,
L'attaque de Trévières,
Le débarquement
sur Gold,
Le débarquement
sur Juno,
Le débarquement
sur Sword,
L'isolement
des têtes de pont,
Ultra au secours
des alliés,
La contre-attaque
allemande contre
les alliés,
Sur le front
américain,
Où est passée
la 2ème Panzer?
La bataille de
Villers-Bocage,
La tête de pont
sur l'Odon,
De Gaulle à Bayeux
Réorganisation
du commandement
allemand,
La bataille
de Caen,
Ultra et le
front britannique,
Opérations
britanniques du
10-18 juillet,
opération
«Goodwood»,
«Bluecoat»,
«Bluecoat»
et «ULTRA»,
Ultra et
le dilemme allemand,
Ultra, Mortain
et Falaise,
Opérations sur
le front britannique
(7-8 août),
PATTON en scène
Le piège de Falaise,

La capture d'Alençon
par la 2ème DB,
La prise de Carrouges,
La conquête d'Ecouché,
L'étau,
Opérations anglo-
canadiennes du 9 au
12 août 1944,
Opérations alliés
du 13 au 20 août,
La fermeture de
la poche de Falaise,
La bataille du
Mont-Ormel-Coudehard,
Sauve qui peut!

Maquis et résistance, renseignements, débarquement des alliés et libération du Calvados
(suite de la page 1)

L'extension de NEPTUNE et d'OVERLORD à deux nouveaux sites supplémentaires de débarquement, réclamée par le maréchal Montgoméry soutenu par Eisenhower et son état-major, a accru immédiatement les besoins en péniches de débarquement, Liberties' ships et A.K.A.(cargo ship Attack) en faisant quasiment éclater les besoins prévus par ce qui était encore le COSSAC et ce d'autant plus que les péniches et barges de débarquement s'étaient diversifiées (1). Or, même la puissance de l'Amérique, déjà très sollicitée par la guerre contre les Japonais, ne pouvait couvrir ces besoins en quelques mois et ce, d'autant plus que le débarquement en Provence devait avoir lieu en même temps que celui en Normandie.

Le dilemme d'Anzio

En gros, l'ajout de deux plages de débarquement (en l'occurrence, Utah et Sword) représentaient un supplément de 72 LCI (L)'s, 47 LST's et 144 LCT's. Or, les Américains avaient débarqué le 22 janvier 1944 à Anzio (opération "shingle"), afin de tenter de contourner les lignes allemandes barrant la route de Rome, grâce à un prêt d'une cinquantaine de LCT au profit de l'opération "shingle", aux dépens de l'Opération OVERLORD. Mais le Major General John P. Lucas débarqué par surprise à la tête de 50.000 hommes, avait commis l'erreur de ne pas occuper dans la foulée de la surprise les hauteurs dominant Anzio, en laissant les Allemands y installer leur artillerie et leurs chars tandis que Kesselring obtenait des renforts afin de ne pas laisser enfoncer la ligne Gustav. Le résultat fut une concentration de plus de 100.000 hommes s'affrontant de part et d'autre dans la zone d'Anzio, qui demandait toujours plus d'hommes et de matériels et donc de moyens de débarquement non disponibles pour les opérations OVERLORD et ANVIL-DRAGOON (débarquement en Provence).

Bien sûr, Churchill soutenait le développement de "Shingle" aux dépens d'"Anvil". Mais Eisenhower avait parfaitement vu que le réseau ferré rhodanien convenait pour approvisionner les troupes alliées attaquant l'Allemagne par l'Alsace et tenait absolument au débarquement en Provence, et ce d'autant plus qu'il pouvait alors compter sur le concours de la première armée française forgée en Afrique du Nord.

Finalement, un accord s'est fait le 13 février 1944 au terme d'une semaine de négociations à Norfolk House. Les besoins de Neptune ont été réduits d'un LSI (H) de 48 LST's et de 51 LCI's, correspondant à une perte de capacité de débarquement de 21.560 hommes et de 2520 véhicules. En échange de 6 AKA's avec le théâtre des opérations de Méditerranée, Neptune recevait 20 LST's et 21 LCI(L)'s. Au total, les opérations Overlord-Anvil disposaient de 4.266 "landing ships et crafts, qui représentaient 99,3% du potentiel US et 97,6% du potentiel britannique.(2) Le débat se poursuivant, à l'initiative des généraux Wilson et Alexander, après cet arbitrage, le général Eisenhower recommanda l'annulation d'Anvil en tant qu'attaque programmée pour coïncider avec Overlord. Il sera entendu par l'état-major mixte anglo-américains (combined shief of staff). Mais il est certain que si les deux opérations avaient eu lieu en même temps, l'effet de surprise et l'efficacité du soulèvement des maquis auraient été beaucoup plus efficaces.

Le plan de marche des troupes alliées

La progression programmée par le SHAEF
du 21ème groupe d'armées
Pour mieux apprécier ces documents cliquer sur l'image.

Dans les guerres modernes de mouvements de blindés et de domination aérienne, la logistique est très souvent la clé du succès. Amener les chars, l'artillerie et les troupes d'assaut au moment et là où il faut constitue la clé du succès. Or, il n'y a pas d'armée moderne sans maintenance technique. Et quand il s'agit d'armées entières, de milliers de chars et de canons et d'avions, il vaut mieux être prévoyant. A cet effet, les bureaux compétents du SHAEF (3) (bureau G-3 et 4) avaient fixé selon les règles de la logique militaire une "feuille de route" des progressions des troupes alliés que l'on peut consulter dans la carte ci-contre.

On pourrait légitimement se demander si ce genre de document, généralement, très vite obsolète en cas d'aléas ou des imprévus inévitables de la guerre, est vraiment utile. Dans la réalité, ce document se révèle indispensable pour assurer une coordonation rapide et flexible de la logistique et de la maintenance. En effet, il suffit de comparer la situation réelle avec le tableau de marche pour déterminer la conduite à tenir en fonction du nombre de jours d'avance ou de retard sur le tableau de marche, sans attendre la mise à jour de la feuille de route initiale. Bien sûr, il y aura toujours des exceptions, et dans ce domaine, le général PATTON savait se montrer particulièrement inventif et imprévisible...

La question de l'approvisionnement et de la logistique après la tempête du 19 au 23 juin 1944 se révèlera particulièrement ardue. En effet, pour développer une attaque, les divisions blindées doivent se mettre en ordre de bataille ce qui demande plusieurs kilomètres de routes et de champs, sur un front large de 3 à 5 kilomètres, voir beaucoup plus comme cela a été le cas après l'opération "Cobra". Or, englués dans le maquis des rangées de haies normandes, les Américains se sont aperçus rapidement qu'ils ne pouvaient procéder à de grandes manœuvres indispensables pour mener à bien une vaste attaque blindée. Telle est la raison pour laquelle la bataille des haies s'est révélée aussi sanglante et impitoyable. Pour y faire face, les américains ont du constituer des Task Forces blindées de taille réduite. Jusqu'à ce qu'ils généralisent l'invention du sergent Culin consistant à souder sur l'avant des chars moyens deux lames permettant de traverser les haies sans exposer leur ventre aux canons antichars. Cette formule des tanks "Rhino" a justement correspondu avec l'opération combinée (avec les formations de bombardiers) "Cobra".

Il faut au demeurant rappeler que les haies normandes ont permis aux unités parachutistes américaines de résister à l'infanterie allemande dés le 6 juin 1944. En revanche, la contre-attaque blindée allemande développée contre l'offensive de Montgomery pour isoler et prendre Caen s'est révélée payante pour le commandement allemand qui disposait d'une large et profonde base de départ parfaitement adaptée aux combats de blindés.

Les opérations préliminaires

Parmi les opérations préliminaires, figure, on l'a déjà vu page précédente, l'opération "Grog" de paralysie pendant huit jours des lignes Paris-Quimper et de Ploërmel-Cuer. Les autres opérations préliminaires consisteront à modifier les objectifs du programme "Pointblanck" et à paralyser progressivement les réseaux ferrés français et belges, en particulier avec le concours de la Résistance française, par des bombardements stratégiques en des points névralgiques des réseaux ferrés.

Les bombardements préliminaires en Allemagne

Après la conquête de l'Afrique du Nord par les alliés, la conférence de Casablanca avait décidé de mettre en œuvre, à partir de la Grande Bretagne, une offensive commune des alliés de bombardement de l'Allemagne, dont l'objectif devait être "la destruction et la dislocation des systèmes militaires, industriels et économiques de l'Allemagne et de saper le moral du peuple allemand à un niveau tel que leur capacité de résistance armée serait fatalement affaiblie".

Parmi les cibles prioritaires, se trouvaient les chantiers de construction de sous-marins, l'industrie aéronautique, celle des transports (ferrés ou routiers), l'industrie et les plantations agricoles fabriquant des carburants, les industries fabriquant du caoutchouc synthétique, les roulements à bille...etc. Après les lourdes pertes essuyées par les raids de bombardiers sur Schweinfurt, Ratisbonne et Regensburg (usines de roulement à billes, usines Messerchmidt, et usine de fabrication de carburant vert, le 17 août 1943) les américains ont recherché une nouvelle formule d'accompagnement des bombardiers par des chasseurs équipés de réservoirs supplémentaires qu'ils larguaient pour affronter les chasseurs ennemis.

Lors de la conférence du Caire, en novembre 1943, les Américains espéraient obtenir des Anglais l'unification des forces aériennes stratégiques sous la houlette du Commandant suprême allié. Ils n'obtinrent que de confier la Direction générale des offensives alliées contre l'Allemagne à l'Air Marshall Portal. Par ailleurs, dès le mois d'octobre 1943, alors qu'il commandait le corps expéditionnaire allié en Italie, Eisenhower avait ordonné de regrouper la 12ème Air Force (stationnée en Afrique du Nord) avec la 15ème Stratégique Air Force. Au 31 mars 1944, cet nouvelle formation comportait: 21 groupes de bombardement, sept groupes de chasseurs et un groupe de reconnaissance.

Le sort de la domination aérienne alliée a vraiment tourné à l'avantage des alliés quand, en janvier 1944, le général Spaatz est arrivé en Angleterre, bientôt suivi de deux groupes de P38s(surnommé par les pilotes de chasse allemands le "diable à deux queues"), équipables de réservoirs supplémentaires leur permettant de pénétrer au cœur de l'Allemagne aussi bien pour accompagner les bombardiers lourds que pour harceler l'ennemi avant et après les bombardements tant sur les aérodromes que dans les points névralgiques des voies de communications ennemies. Immédiatement, les Américains équipèrent tous leurs chasseurs et leurs chasseurs bombardiers de réservoirs supplémentaires largables.

Si l'on consulte le tableau récapitulatif des bombardements opérés en Allemagne et en Hollande aux mois de janvier et février 1944, on peut constater les effets de cette stratégie nouvelle en observant la diminution du nombre des bombardiers lourds abattus en cours de mission. Cette diminution paraît nettement moins importante pour la RAF spécialisée dans les bombardements de nuit en raison de la difficulté de faire escorter les bombardiers par des chasseurs de nuit.

L'opération Crossbow

Les raisons qui ont conduit le général Eisenhower à mener l'opération "Crossbow" ont déjà été analysées en détail dans le chapitre de ce site consacré à la Manche (cliquer sur le lien pour le consulter). Il ne parait pas utile d'y ajouter des commentaires. Toutefois, il parait indispensable de comprendre comment la question a été traitée militairement. C'est pourquoi on peut prendre connaissance dans le dossier ci-joint des missions de bombardement de sites d'armes V qui ont été conduites à partir du mois de décembre 1943 jusqu'au 6 juin 1944.

On constate que les sorties ordonnées par le S.H.A.E.F. au titre de "Crossbow" proches de 20% des sorties des bombardiers les premiers mois ont sérieusement diminué au fur et à mesure que l'on se rapprochait de l'échéance de NEPTUNE. En effet, les sorties de bombardiers stratégiques ou non contre les sites de V1 ne s'attaquaient pratiquement qu'à la première version des base lancement allemandes appelées "sky sites". Les planificateurs des bombardements ne prenaient pas en considération les sorties d'observation et des chasseurs bombardiers de l'ADGB (Air Defense of Great Britain), qui révélaient l'existence de nouvelles installations (faites de constructions industrialisées) et de taille beaucoup plus réduite et beaucoup plus facilement dissimulables(3).

A ce sujet, l'Air Chief Marshal SIR RODERIC HILL, commandant du Fighter Command et de l'ADGB apporte des précisions intéressantes quant à l'impact de Crossbow pendant la période ayant précédé le D-day (6 juin 1944) aux paragraphes 50 à 52 de son rapport publié le 20 octobre 1948 dans le supplément du London Gazette (le journal officiel britannique):
«50. Cependant ceci aurait-il eu beaucoup d'effet sur le cours des événements qui ont suivi est une autre question. Une question à laquelle aucune réponse finale n'est possible. Mon propre avis est qu'une série d'attaques bien coordonnée sur « les sites modifiés » pendant les semaines précédant juste la campagne de «DIVER» aurait ralenti de peu la fabrication des sites mais rien n'aurait empêché les Allemands d'utiliser tôt ou tard leur nouvelle arme. Même si je croyais que la menace « des sites modifiés «était sous-estimée impliquait nécessairement que je pense que l'omission pour attaquer les emplacements était erronée à la lumière des connaissances disponibles alors. Même si leur danger avait été entièrement réalisé, il y aurait toujours eu des arguments forts contre leur bombardement. Et tandis qu'il est facile d'être sage après l'événement, lorsqu'il n'y avait aucun moyen de savoir si le danger était imminent. Au contraire, quelque 36 heures avant que le premier avion sans pilote ait été lancé, un tel renseignement valable suggérait que « les sites modifiés » n'étaient pas susceptibles d'être employés avant plusieurs semaines.(*)
«51. Le fait demeure est que pendant la première moitié de juin, les Allemands pouvaient continuer leurs préparations pour nous bombarder avec les avions sans pilote, sans crainte d'être molestés par nos bombardiers.
«52. À ce moment, une des missions de mon commandement était d'empêcher les avions de reconnaissance allemands d'approcher les secteurs où nos forces se concentraient. En cela, nous avons réussi même au delà de nos espérances. En grande partie sur ce point, les débarquements en Normandie dès l'aube du 6 juin ont réalisé la surprise tactique complète. Même les jours suivants, alors que les Allemands avaient eu le temps d'apprécier ce que nous faisions, l'opposition aérienne était loin d'être énergique. Assez naturellement, le commandement des forces aériennes et son état-major étaient radieux, et avaient peu de temps à consacrer aux avions sans pilote.»

(*)«Le 11 juin, cependant, le ministère de l'air avait reçu un rapport qui annonçait qu'un train chargé de missiles était passé à l'ouest par la Belgique deux jours plus tôt. Le même jour, une reconnaissance photographique indiquait une activité peu commune sur six « des emplacements modifiés ». Cette information n'a atteint mon quartier général qu'après que l'offensive allemande ait commencé; mais peu ou rien n'aurait été gagné si je l'avais reçu plus tôt, parce que le plan de défense étaient prêt depuis mars, et je ne pouvais pas en commander le déploiement sur la simple base de ces deux rapports.»

La paralysie des réseaux ferrés français et belges

Le pillage de la SNCF après l'Armistice

Réglementairement, la situation de la S.N.C.F. était régie par les articles 13 et 15 de la convention d'Armistice du 22 juin 1940 (articles 13 et 15).:
  1. Les conditions de remise à l'Armée allemande de tous les moyens et voies de communication situés sur le territoire français occupé, d'une part,
  2. et d'autre part, l'obligation faite au Gouvernement Français de procéder en zone occupée à tous les travaux de remise en état nécessaire, particulièrement en ce qui concernait les voies ferrées et de veiller au maintien à leur niveau d'exploitation du temps de paix des effectifs en personnels, notamment en ce qui concernait le service de maintenance des voies ferrées étaient stipulées à l'article 13 de cette convention.
  3. De plus, la SNCF devait veiller à la bonne fin des transports entre l'Allemagne et l'Italie des transports empruntant le territoire français non occupé.
A l'exception de quelques sections de lignes d'intérêt local de la zone côtière du Nord et du Pas de Calais exploitées par les Allemands jusqu'à la fin janvier 1943, la SNCF assurait elle même tout le trafic militaire , formation des trains, conduite, manœuvre, voir la garde armée des voies, etc... suivant les directives des services allemands et sous le contrôle des deux Hauptverkehrsdirektion (HVD) de Paris et de Bruxelles, relayées par des Eisenbhanbtriebsdirektion (E.B.D.), qui étaient en quelque sorte des centres régionaux d'exploitation, eux mêmes relayés par des "Ubfel", des gares de contrôle allemandes.

Le colonel Goeritz, commandant le HVD de Paris, informait régulièrement les agents de la SNCF qu'ils étaient soumis aux lois de la guerre allemandes, aux termes de l'article 155 du Code de Justice militaire. Il prenait soin d'ajouter : «Les lois de guerre allemandes sont très dures; elles prévoient presque dans tous les cas la peine de mort ou les travaux forcés à perpétuité ou à temps » et il insistait «chacun doit se rappeler que les tribunaux militaires allemands interviennent d'une façon dure et sans avoir égard aux circonstances.»

Outre ces obligations, la SNCF avait été ponctionnée toujours au titre de la convention d'Armistice interprétée unilatéralement par les chefs allemands des transports. Une note de service du secrétaire d'Etat aux Communications, Jean Berthelot, datée du 21 novembre 1941 rappelle l'importance des prélèvements opérés par l'Allemagne sur les matériels de traction et le matériel roulant:(5)
«Les Autorités d'occupation ont prélevé, pour les besoins de la Reichsbahn, sur le parc de locomotives à vapeur de la SNCF 2.875 unités, dont une majorité de machines modernes à marchandises. De ce fait, le nombre de locomotives réellement disponibles en zone occupée tombe au-dessous de 6.000. Il en résulte des difficultés de traction, qui seraient considérablement aggravées si les transports militaires allemands devaient retrouver leur activités du printemps 1941 alors qu'ils absorbaient 1.500 machines.
«D'autre part, sur un total de 420.000 wagons à marchandises, non compris le matériel affecté à l'ancien réseau d'Alsace et de Lorraine, il a été prélevé en août 1940 un total de 85.000 wagons; mais en fait, la SNCF est privée d'un nombre de wagons bien supérieur que l'on peut actuellement estimer à 160.000. Le chemin de fer éprouve donc les plus grandes difficultés à assurer les transports essentiels de l'économie française.
«Enfin les prélèvements de matériels de voyageurs sont tellement importants que la SNCF ne peut plus assurer avec des voitures à boggies les trains rapides et express dont, pourtant, le nombre a été réduit de plus de 70% par rapport à 1938.
A quoi s'ajoutent les prélèvements en hommes et techniciens au titre du plan «Sauckel» toujours compte non tenu des techniciens et ouvriers qualifiés et leur encadrement en Alsace-Lorraine intégrés d'office dans le Reichbahn.(6)

Non seulement la SNCF a du créer 700 postes pour assurer les liaisons avec les EBD, mais elle a du mobiliser en plus 3.500 emplois pour assurer la liaison aux raccordements des voies allemandes et française qui n'ont pas le même écartement et créer 9.400 emplois de coopérants à la défense passive et y ajouter un millier d'emplois de sécurité imposés par la guerre.

A quoi s'étaient ajoutés le 20 mars 1941 le détachement en Allemagne de 1200 mécaniciens chauffeurs et de 4.800 ouvriers en métaux. La SNCF devait encore y ajouter à partir du 15 mai 1943 un nouvel effectif de 10.000 cheminots dont 1943 ouvriers en métaux, 900 chauffeurs et 147 contremaitres et chefs de brigade. Et en août 1943, le plan Sauckel réclamait encore deux tranches supplémentaires de 5.000 ouvriers qualifiés contre le retour dérisoire... de 10 agents

Dès lors que ces informations figurent dans le dossier «Sherrington», c'est qu'elles étaient également connues des état-majors alliés. On va voir par la suite que les conséquences qu'en a tiré l'état-major suprême allié sont parfaitement logiques.

Pourquoi paralyser les réseaux de chemins de fer sous contrôle allemand?

Beaucoup de résistants se sont vainement posé la question de savoir pourquoi les alliés avaient pilonné les réseaux et gares de la SNCF sans trouver de véritables explications dans les ouvrages écrits par les militaires à la suite de la deuxième guerre mondiale. Et pourtant, bien que la question ait été classée définitivement comme relevant du secret militaire abolu, la réponse à cette question est assez simple quand on se préoccupe des dessous dissimulés en amont de "Fortitude"

En effet, à partir du 4 janvier 1944, les dépêches du réseau France zéro ZW ont continué à affluer dans les bureau G-2 du COSSAC, alors que le premier radiogramme provenant du chef de gare d'Amiens, Germain Bleuet, annonçait la prévision de nombreux trains TCO en Picardie. Elle fut suivie d'un radiogramme de «Zéro France Maubeuge». Elle indiquait:
« Maubeuge le 19/1/1944 « En gare et à diriger rapidement sur la ligne Hirson-Charleville deux trains de canons antichars, 2 trains complets de matériel de génie, ce matériel comportant comme totem une balance en blanc sur fond bleu.
«(Renseignement donné par le chef du mouvement venant à Paris par le train de permissionnaires allemands).On prévoit par ailleurs pour le lundi 20 un mouvement de 41 trains militaires sans pouvoir préciser l'origine de ce mouvement ni sa direction.»

La suivante venait du réseau Zéro France Paris et était datée du 20 janvier 1944. Voici ce qu’elle annonçait :(9)
« Déplacement de 38 trains (effectif d'une grosse demi division) embarquement partie dans la région Langres-Châlons-Revigny pour 1/3 et pour les deux autres tiers à Versailles, Mantes, Trappes, Senlis, Chantilly.
« Les mouvements s'exécutent au cours de la période du 20 au 25 janvier et se dirigent vers la côte Nord (Boulogne)».

Tous ces messages transmis par radio montraient combien il était vital pour les alliés et pour la LCS, chargée de mettre en œuvre le plan de tromperie "Fortitude", de suivre attentivement les mouvements de troupes allemands à travers le réseau France Zéro zW. En un mois, ce sont 123 trains TCO représentant plus de trois divisions d'élite prélevées sur les réserve d'OB West et de la 15ème Armée, venant la plupart du temps du front russe, qui vont venir renforcer le plan de contre-attaque d'un éventuel débarquement allié sur la côte d'Opale, plan nommé Kanalküste (et non "Kanalkueste" comme l'appelaient les alliés), par le Commandement Allemand.

L'ordre de bataille de la 15ème Armée allemande
au premier semestre 1944

En effet, le risque soulevé par Erwin Rommel à la veille de Noël 1943 d'un débarquement massif allié sur la Côte d'Opale avait été si bien pris en considération qu'Hitler et l'O.K.W avaient décidé d'y consacrer tout le LXVIIème Corps d'armée, c'est à dire un corps de réserve entier de la XVème Armée allemande.(7)

C'est ainsi que le LXVIIème Corps de l'armée allemande, commandé par le General d'Infanterie Walther Fischer von Weikersthal, (Generalstabsoffizier: Major i.G. Kurt Gerber; Chef des Generalstabes: Lothar Schäfer) a entrepris de déménager depuis Bruxelles son état-major sur Amiens à la tête des 344ème et 348ème Divisions d'infanterie de la Wehrmacht. Au total, et dans le seul département de la Somme, il y avait, outre les deux régiments d'infanterie ci-avant, l'équivalent de deux divisions d'élite chargées de mener les assauts pour rejeter les armées alliées qui se risqueraient à débarquer pour attaquer la Ruhr et/ou la région parisienne, une division de parachutistes en formation, et l'équivalent d'une division de la Luftwaffe (DCA ou Flak comprises). Une vraie petite armée, avec pratiquement autant d'hommes prêts à l'action dans le sud du Pas de Calais, qui dépendait du LXXXIIèmeCorps d'armée allemand.

Alertés par le réseau France zéro ZW, les alliés ne pouvaient donc pas ignorer que, dans ce nouvel ordre de bataille allemand, le réseau Nord de la SNCF avait joué un rôle clé, et ce, d'autant plus que le renforcement de la zone au Nord d'Abbeville s'est poursuivi jusqu'au mois d'avril 1944, comme l'a montré le massacre de Villeneuve d'Ascq. Il est donc parfaitement logique que les alliés, qui bénéficiaient alors d'un apport d'informations déterminant, qui lui étaient livrées par le réseau France Zéro, envisagent d'une part, de fixer ces troupes allemandes par le moyen de la tromperie de "Fortitude", d'autre part, de cloisonner ces troupes d'élite massées sur le littoral de la Côte d'Opale de façon à compliquer leur intervention éventuelle sur le champ de bataille normand. Si elles leur étaient opposées, ces troupes auraient représenté un véritable danger pour les troupes alliées qui devaient débarquer en Normandie. Cela ne pouvait que conduire l'Etat-major d'Eisenhower à chercher à paralyser le réseau de la SNCF, moyen logistique essentiel de la Wehrmacht, au demeurant imposé par la convention d'Armistice dont les Américains connaissaient parfaitement l'efficacité.

Or, ces renseignements faisaient clairement apparaître que les Allemands possédaient un avantage capital sur les alliés en ce qui concerne le déploiement des grandes unités blindées: ils disposaient d'un terrain propice et d'une marge confortable pour la concentration de leurs unités alors que les alliés ne disposeraient que d'une marge de terrain étroite, qui plus est inondable et tout à fait insuffisante pour déployer de grandes unités blindées capables de faire face aux contre-attaques allemandes. Le seul moyen d'échapper à ce risque qui se vérifiera dans la plaine de Caen, c'était donc d'empêcher les forces adverses de se concentrer et, par voie de conséquence de leur rendre impossible l'utilisation des réseaux ferrés qui leur donnait un avantage pouvant se révéler décisif, quant à l'issue de la bataille.

Le plan rail

En matière de renseignements, ou d'"intelligence" selon le terme utilisé par les Anglo-saxons, rien ne survient par hasard. Or, justement, en s'inspirant de l'expérience du plan de bombardement du réseau ferré italien, l'agence de Berne de l'OSS, dirigée par Allen Dulles, avait déjà proposé un plan de bombardement du réseau ferré français pour bloquer 17 voies ferrées principales. A cette époque, la météo était particulièrement incertaine. Le mauvais temps rendant incertain la bonne fin de ce plan, l'Air Marshall Leigh-Mallory le rejeta. Cela n'empêcha pas le Pentagone de présenter le professeur Solly Zuckermann, distingué anatomiste qui s'était intéressé de près à la paralysie du réseau ferré italien, d'être "bombardé" conseiller scientifique de l'A.E.A.F.

Or, le Pr Zuckermann était un homme entier qui avait préconisé, avec un certain succès, la paralysie totale du système de transport italien en attaquant les services de maintenance du matériel roulant, la destruction de locomotives, et du parc roulant, et bien évidemment, l'attaque des gares de triages où les services d'entretien étaient généralement concentrés. Et le plan de bombardement du réseau ferré logistique des allemands finalement discuté a mis à jour 93 cibles ferroviaires (8), dont 14 dans le sud de la France dont la destruction serait confiée à la 15ème U.S.A.F.

Ces propositions, adoptées par le COSSAC qui n'était pas encore devenu le SHAEF, furent accueillies assez fraichement dans les armées aériennes alliées, tandis que les planificateurs de l'USSTAF, entendaient soumettre un contre-plan aux généraux Eisenhower et à l'Air Marshall Portal, représentant l'état-major mixte allié pour le 5 mars 1944. Bref, le 12 février 1944, le général Eisenhower avait reçu sa directive de l'état-major mixte allié qui ne comportait pas de clause sur le contrôle qu'il devait exercer sur les forces aériennes stratégiques au moment même où Leight-Mallory publiait le plan de bombardement du réseau ferré français alors que le général Spaatz développait son opposition à ce projet.

Le bombardement du triage de Busigny (Nord)le 02/05/44
par les B26 de la IXème USAF rattachée à l'AEAF
La solution trouvée le 9 mars 1944 par Portal et Eisenhower fût de donner au Commandant suprême la "responsabilité pour la supervision des opérations aériennes engagées hors de l'Angleterre dans le programme" en support (aérien) d'Overlord. Portal en tant délégué exécutif des chefs de l'état-major mixte allié gardait l'exécution de "Pointblank" (nom de l'offensive de bombardement mixte) et le Commandant suprême approuveraient conjointement le plan de support aérien d'Overlord. Cet accord fut approuvé le 17 mars par l'Etat-major britannique et expédié à Washington ou les chefs d'Etat-major substituèrent le terme "Direction" au terme "supervision".

S'il semblait indispensable pour l'installation des troupes alliées dans la tête de pont normande de paralyser le réseau ferré à la disposition de la Wehrmacht, il n'en demeurait pas moins que l'attaque systématique des triages et dépôts souvent imbriqués dans les zones urbanisées, représentait un grave risque pour les populations civiles, risque estimé à 160.000 personnes dont un quart de morts dans un premier temps. Pour limiter ce risque, le MI6 (Réseau SOE Anglais) a donc recherché, par l'intermédiaire du réseau Jad-Amicol, plus connu sous le nom de "réseau Buckmaster", le concours du meilleur spécialiste de la question qui disposait de l'ensemble des plans de transports de la Wehrmacht: Monsieur Moreau. L'intéressé, sa documentation et ses plans de transport de la Wehrmacht à jour ainsi que sa famille furent donc enlevés en Lysander, afin d'être en mesure de collaborer avec les planificateurs des bombardements alliés.

Le plan de bombardement du réseau ferré français
appliqué sur l'ordre de Dwight D. Eisenhower
Cliquer sur le lien, pour prendre connaissance du programme de
bombardement appliqué entre les 14 avril et 6 juin 1944.
A propos de ce programme, Mr Sherrington a livré des indications dans le
dossier"AJ72/504"
.
Cliquer deux fois sur l'image pour l'agrandir.
information tirée de "CROSS-CHANNEL ATTACK", par Gordon A. Harrison
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Sur l'insistance du Cabinet de Churchill, le général Eisenhower supprima, le 17 avril 1944, deux cibles sur Paris, puis, fin avril, suspendit les attaques sur 27 autres cibles. Mais cela n'annulait nullement la directive adoptée 17 avril 1944 par le Commandant suprême, ainsi résumée par Gordon A. Harrison, auteur autorisé du Pentagone:
«Le 14 avril, le Général Eisenhower a pris la direction des Armées de l'Air stratégiques en support d’ OVERLORD et trois jours plus tard a publié sa directive pour le bombardement des transports. La mission globale de la destruction du système économique militaire et allemand restait sans changement. La mission particulière des Armées de l'Air stratégiques était d’abord d’épuiser l'Armée de l'Air allemande et de détruire les équipements en service, et en second lieu, «de détruire et perturber les communications ferrées de l'ennemi, en particulier celles affectant les mouvements de l'ennemi vers le secteur d’installation d’«OVERLORD»
«Les cibles à l’Est de la France et en Belgique étaient assignées à la huitième Armée de l'Air US; le bomber Command (R.A.F.) devait frapper l’Ouest de la France et le secteur autour de Paris tandis que l'AEAF concentrait ses efforts sur le Nord de la France et la Belgique. Bien que des cibles allemandes n'aient pas été incluses dans le plan approuvé en avril, la huitième Armée de l'Air avant que le jour J avait largué environ 5.000 tonnes sur les centres ferrés au centre du Reich et le long des frontières franco-allemandes.
«Eisenhower a également donné personnellement à Spaatz la permission de tenter une série d'attaques lourdes sur l'industrie pétrolière allemande ; celles-ci ont été lancées en mars et se sont poursuivi en même temps que le bombardement du réseau ferré. Les attaques contre des cibles de carburants ont commencé à prendre les proportions d'une offensive globale à partir de la mi mai, et le 8 juin, le Général Spaatz annonçait la destruction des ressources pétrolières allemandes en tant que cible stratégique primaire de l'Armée de l'Air stratégique des USA.» (10)
On constatera à la lecture du tableau récapitulant les bombardements des centres ferroviaires belges et français ordonnés conjointement par Dwight D. Eisenhower et les Air Marshalls Portal et Tedder, que des efforts ont été faits pour limiter les effets désastreux des bombardements répétitifs. Il ne faut pas oublier que les Allemands avaient déployé des canons et affûts de mitrailleuses antiaériennes dans les secteurs sensibles, aussi bien, par exemple, à Tergnier qu'à Longueau.

A la fin du premier trimestre 1944, l'Angleterre était quasiment envahie par les bombardiers, chasseurs et chasseurs-bombardiers qui continuaient à affluer alors que la Luftwaffe ne pouvaient plus vraiment offrir de résistance aux attaques aériennes alliées. Il fallait donc trouver un moyen d'endurcir les jeunes pilotes américains qui continuaient d'affluer depuis les USA et les former à leur tâche de soutien des armées de terre. Pour ce qui concerne notamment les pilotes des chasseurs-bombardiers, l'Etat-major a eu l'idée de les expédier en patrouille sur le prochain champ de bataille.

C'est ainsi que l'Etat-major a eu l'idée d'organiser à leur intention des patrouilles puissantes chargées de faire la chasse à des cibles au sol particulière: canons d'assaut dans la Manche, par exemple ou locomotives. Pour le Chatanooga day (21 mai 1944), 50 locomotives seront détruites dans le seul secteur de la VIIème Armée allemande, 113 étant détruites par l'ensemble des patrouilles au cours de cette seule journée. Le 23 mai 1944, ce sont 250 bombardiers en piqué P 47s' de la IXème U.S.A.F. qui sont expédiés en patrouille sur l'Europe de l'Ouest, tandis que 120 P 47s de la même armée s'attaquent au stock roulant. Le 29 mai 1944, ce sont seulement 200 P47s qui bombardent et mitraillent des cibles sensibles sur le nord de la France et la Belgique. Un climat d'insécurité nourrit bientôt les troupes allemandes qui appellent ces avions "le jabots", alors que le ravitaillement et le carburant se font de plus en plus rares.

Plan vert et sabotages (6)

Bien avant que les alliés ne bombardent les gares et triages de la France et de la Belgique, des sabotages avaient été entrepris sur les installations et les voies de la SNCF. Bien sûr, ces sabotages étaient réalisés en particulier dans les zones difficilement accessibles aux bomlbardiers alliés, ou dans les zones urbaines denses. Ces sabotages étaient effectués soit par les cheminots eux-mêmes, (notamment dans le nord de la France), soit par des réseaux de résistants spécialisés extérieurs, qui veillaient particulièrement à la bonne fin des sabotages dans les tunnels. La fréquence des sabotages s'est bien sûr élevée au fur et à mesure que les saboteurs ont été équipés d'explosifs "pains de plastic" et de systèmes de détonation, soit électriques, soit chimiques (les crayons allumeurs anglais étaient particulièrement prisés en raison de leur simplicité de fonctionnement et de la difficulté de les déceler).

Le dossier «Sherrington» révèle également que toute une série de conseils avaient été prodigués aux réseaux de résistants pour les conseiller sur la meilleure façon de saboter un réseau de signalisation, des aiguillages, un pont tournant, les grues de levages ou une locomotive. Un code de signalisation des attaques aériennes avait même été mis au point afin de faciliter la sauvegarde des chauffeurs et mécaniciens et le travail des pilotes alliés: les chasseurs et chasseurs bombardiers attaquant un train devaient survoler préalablement la locomotive avant de l'attaquer, ce qui conduisait les chauffeurs mécaniciens à freiner à mort la machine et à sauter en marche afin de ne pas être mitraillés ou cannonés. L'arrêt de la machine, on le comprend aisément avait également pour effet d'aider le pilote à détruire la machine en évitant si possible de toucher les wagons transportant des civils.

Ainsi, une note, rédigée anonymement, fixait les conditions optimales de sabotages des chemins de fer dans la perspective du débarquement. Son objet: appeler l'attention des chefs de la Résistance sur les moyens les plus simples et les plus efficaces pour jeter la perturbation dans les mouvements ferroviaires allemands afin de contrecarrer l'accès de troupes dans les zones prévisibles de combat. Elle recommandait aux réseaux de Résistance d'utiliser des procédés techniques en dehors des coupures classiques de voies ferrées recourant au détirefonnement des rails ou aux mines disposées sur la voie et leur fournissait des indications techniques sommaires leur permettant, avec le concours d'agents de la SNCF, des provoquer des attentats efficaces.

Cette note comportait deux parties. La première partie était consacrée aux sabotages sur le trajet des transports militaires en cours d'opération (ou T.C.O.), et la seconde aux sabotages dans les dépôts de locomotives.

La première partie décrivait des moyens simples de mettre hors service les systèmes de "dispatching" des signaux, ce qui, par exemple, rendait impossible l'acheminement rapide des TCO qui devaient se succéder toutes les 30 minutes, ainsi que des moyens mécaniques, électrique et chimiques, pour immobiliser les blocks qu'ils soient mécaniques, électriques ou pneumatiques. Parmi les moyens les plus simples et les plus efficaces, l'interversion des fils électriques de commande...

S'agissant des dépôts de locomotives, il était recommandé de saboter les châssis de locomotives, ce qui obligeait au démontage complet de la machine, les chaudières (par attaque des plaques principales), les cylindres en fonte qu'il était facile d'attaquer à l'explosif, ainsi que les bielles, toujours d'un même côté qu'une charge de plastic de 225 grammes suffisait à rompre... Dans ce cas il était recommandé de saboter toutes les locomotives des rotondes de telle sorte que les machines intactes ne puissent être utilisées comme pièces de rechange...

D'autres conseils étaient également prodigués pour saboter les plaques ou les ponts tournants dont les galets pouvaient être détruits à l'explosif à raison de 10 kg d'explosifs par galets et d'autres étaient délivrés pour saboter les grues de levage de secours et même les wagons de secours. Y était jointe la liste des installations à saboter.

Le plan vert visait quelques 300 points sensibles difficilement accessibles aux bombardiers. Les cheminots ont payé très cher leur résistance: quelque 400 fusillés et plus de 3.000 déportés, sans compter les nombreuses arrestations des agents de la SNCF qui ne voulaient pas se soumettre aux lois allemandes comme le leur ordonnait le colonel Goeritz.

Après la grande grève des mineurs du Pas de Calais en 1943, les Allemands ont pensé qu'ils devraient faire face à une grève des cheminots français à l'heure du débarquement. Telle est la raison pour laquelle ils ont fait revenir des pays occupés ou de l'Allemagne quelques 25.000 techniciens de chemins de fer allemands affectés aux lignes et dépôts les plus importants. Certains de ces techniciens portaient encore tatoué sur le bras, le souvenir de leurs victoires passées à savoir, l'écusson «E.B.D. de Kiev» ou «U.P.A. De Karkov».

Sabotages comptabilisés dans toute la France
de janvier à la première semaine d'Août 1944
dans l'ensemble des régions

mois
sabotages
avaries
janvier169322
février148198
mars169223
avril130174
mai97118
juin117327
juillet253301
août118195
Total9211858
Renseignement extraits du dossier 72AJ/506 «Sherrington»
aux archives nationales.
La situation s'aggravant, dès le mois de janvier 1944, avec l'accroissement des bombardements alliés, Bichelonne, le secrétaire d'Etat collaborateur de Vichy chargé des communications, adressa, le 28 janvier 1944, un ordre du jour aux cheminots dans lequel il indiquait:
«Après avoir constaté une diminution alarmante de l'activité ferroviaire, que le Gouvernement venait de prévoir, des sanctions contre tout fonctionnaire ou agent d'un service public qui faillirait «à son devoir envers la Nation» et, pour que chacun comprenne bien de quelle «action il s'agissait, le ministre du Gouvernement de Vichy ajoutait:
«Les autorités d'occupation viennent d'ailleurs de m'informer sans ambiguïté que si, dans un délai de quelques jours, une sensible amélioration ne se manifestait pas, elles prendraient des sanctions contre tous les responsables.»
Assez surprenant! On trouve dans le dossier 72AJ/506 «Sherrington», un bilan assez détaillé des sabotages répertoriés dans un rapport dressé le 6 août 1944 par le commandement militaire allemand (Rapport dressé par le QG du général Stülpnagel) qui figure dans le tableau ci-dessus.

Sabotages et bombardements: les effets

Quels ont été les effets des bombardements massifs des centres névralgiques du réseau ferré et des sabotages organisés sur ce réseau par la Résistance? Les services d'espionnage et de contre-espionnage de l'ORA (Organisation de Résistance de l'Armée, dirigés à la fin de la campagne de France par les généraux Ailleret et Cogny), qui avaient, semble-t-il, les mêmes informateurs que le Réseau France zéro ZW, à travers notamment leur agence Eleuthère ont réussi à se procurer le bilan pour le mois de mars 1944 de l'occupation Allemande établi par le quartier général du Militärbefehlshaber en France, ou pour faire plus court par le Quartier général du Général von Stülpnagel.

Au chapitre des sabotages, ce rapport (11), le rapport allemand indique notamment: Les sabotages contres les installations ferroviaires sont en constante augmentation. Dans la région de l'Etat-major général des Transports de Limoges, les terroristes ne se contentent plus de déboulonner les rails. Ils arrêtent le train en pleine campagne, forcent les voyageurs et le personnel à descendre et font sauter la locomotive ou dirigent le train, sans mécanicien, sur une voie préalablement dynamitée...". Le même document dénombre pour le seul mois de mars 114 sabotages en zone Nord et 211 en zone Sud. On notera que ce rapport ne concerne que l'application du plan initial de bombardement de l'Air Marshall Leight-Mallory.

Au chapitre des opérations aériennes, la même synthèse du QG de von Stülpnagel observe un fort accroissement de l'activité aérienne spécialement contre les stations de chemin de fer, les gares de triages et les aérodromes.

«Les attaques (aériennes) violentes et systématiquement répétées, observe-t-elle, contre les gares de triage du Nord-Ouest de la France ont causé de grosses pertes en hommes et en matériel. Il se fait une véritable hécatombe de locomotives: 334 dans le Nord Ouest, 50 à Amiens et au Petit-Thérain, 59 au Mans, 83 à Hirson, 35 à Trappes, etc.
«1.000 wagons ont été détruits à Chelles, presqu'autant à Amiens et au Petit-Thérain.»
Côté transports ferrés, la crise créée par les bombardements des installations de chemin de fer est qualifiée «d'exceptionnelle.» à cause, «de la destruction, poursuit le rapport de synthèse, de huit importantes stations de triage et de plusieurs centaines de locomotives. 900 trains sont atteints. Le 7 mars, on a été obligé d'arrêter la circulation de toutes les marchandises pour 14 jours...»

Citant un rapport de Police, Pierre Nord apporte des précisions fort significative du désordre semé par les premiers bombardements des installations ferroviaires:
«On a fait venir d'Allemagne 200 locomotives à réparer, qui resteront en France après révision.... Le trafic des marchandises est interrompu jusqu'au 10 avril (21 mars d'après le QG Stülpnagel)... La circulation Paris-Châlons-sur-Marne a été complètement interrompue pour cinq ou six jours. Des envois du Reich ont dû être arrêtés...
«La ligne Saint-Etienne-Le Puy a été coupée pour deux jours... La circulation a été coupée à Saint-Quentin sur la ligne Paris-Liège.... circulation interrompue à Trappes... La gare du Mans hors service pour plusieurs semaines... La circulation a été interrompue de Hirson à Busigny, Laon, Aulnoye et Liart à deux reprises pendant le mois... La circulation Marseille Vintimille est interrompue...»

Trains en attente d'acceptation ou de traction
à la date du 24 avril 1944
dans l'ensemble des régions

réseaux
attente d'acceptations
attente de traction
EST20034
NORD81119
OUEST10576
SUD-OUEST14427
SUD-EST14823
TOTAL698279
Renseignement extraits du tome 1 du livre de Pierre Nord,
"Mes camarades sont morts".(p. 266)
Pierre Nord s'était livré auparavant dans le 1er tome de son livre "Mes camarades sont morts" à une analyse féroce des effets des bombardements ordonnés par le général Eisenhower. (12), en analysant à la date du 24 avril 1944 la désorganisation des transports de la SNCF consécutive aux bombardements de ses installations, résumés à la date du 24 avril 1944 dans le tableau ci-contre.

On notera que l'auteur se livre également à une étude critique du bombardement de Rouen qui eut lieu à cette époque après l'arrestation du lieutenant de vaisseau Rivière, second du réseau Nord des Sosies de Dominique Ponchardier qui était détenu à la prison de Rouen et interrogé au siège de la Gestapo entre le donjon de Jeanne d'Arc et la rue Verte. Apparemment, Pierre Nord n'avait pas fait le lien entre la détention de Rivière, et ce bombardement massif par la RAF, qui a effectivement réussi à détruire le dossier des interrogatoires de Rivière. ce dernier avait fourni aux alliés les cartes du service hydrographique de la Marine pour les zones de débarquement en Normandie.

Mais en définitive, les protestations des réseaux de Résistance contre l'importance des pertes causées aux populations civiles porteront leurs fruits et conduiront le général Eisenhower à accepter que le général Kœnig fasse partie du Comité chargé d'examiner le degré d'urgence du bombardement des centres habités. Voici très précisément ce qu'a écrit le général Eisenhower dans son rapport sur les opérations en Europe des Forces du Corps expéditionnaires alliées (p.32 de l'Edition publié par les Editions Berger-Levrault, Paris):
«Les premières attaques sur le système des communications français furent entreprises à la suite d'une décision extrêmement pénible dont j'endossai la pleine responsabilité. Je n'ignorais pas que les attaques contre les principales gares et les centres ferroviaires par les forces aériennes stratégiques et tactiques se payaient lourdement en vies françaises. D'autre part, une très grande partie de l'économie française serait inutilisable pendant une longue période.
«A diverses reprises le Premier ministre Churchill et le général Kœnig me demandèrent de reconsidérer ma décision de bombarder ces objectifs spéciaux. Le général Kœnig me demanda un jour l'autorisation de faire partie d'un Comité chargé d'examiner le degré d'urgence du bombardement des centres habités. Sur la question de la perte des vies françaises, cependant, il adopta une attitude digne d'un soldat en déclarant:«C'est la guerre.»
«Je n'ignorais pas toutes les conséquences qu'entraînait mas décision, jusqu'à l'éventualité désolante de nous aliéner nos alliés français. Cependant, pour des motifs strictement militaires, j'estimais qu'il fallait briser le réseau des communications en France. Le destin d'un continent entier reposait sur l'aptitude de nos troupes à s'emparer d'un point d'appui et à le conserver contre tout ce que nous nous attendions à voir l'ennemi lancer contre nous...»
Du côté du Pentagone, on a observé qu'avec les 500 à 600 locomotives détruites dans le secteur d'OB West au mois de mars 1944, les attaques aériennes alliées avaient doublé le bilan des destructions de février 1944. Or, en avril 1944, le nombre des attaques rapportées est passé de 93 à 243 alors que dans le même temps les sabotages se poursuivaient.




Notes sur les Sources:
  1. Voici une liste non exhaustive des abréviations désignant les moyens de débarquement s'ajoutant aux A.K.A. construits pour l'assaut de Neptune, : LCA (Landing Craft, Assault), LCG (Landing Craft, Gun), LCI (Landing Craft, Infantry), LCM (Landing Craft, Mechanized), LCT (Landing Craft, Tank), LCT (R)[Landing Craft, Tank (Rocket)], LCVP (Landing Craft, Vehicle and Personnel), LSH (Landing Ship, Headquarters), LST (Landing Ship, Tank). Des chars démineurs et des chars équipés d'obusiers, et enfin des DUKWs (camions 6x6 amphibies de 21/2ton) avaient été également spécialement conçus et construits. Ces derniers permettront de remplacer les barges de débarquement coulées après la tempête, qui a duré du 19 au 23 juin 1944, et a rendu inutilisable le Mulberry d'Omaha.
  2. "CROSS-CHANNEL ATTACK" chapitre 5 (p. 171), par Gordon A. Harrison, CENTER OF MILITARY HISTORY UNITED STATES ARMY (service historique du Pentagone), Washington DC, 1993.
  3. Les bureaux du S.H.A.E.F. étaient répartis de la façon suivante: G1, Personnel des sections du haut état-major; G-2, renseignement (intelligence section); G-3, (section de programmation des opérations), G-4 logistique des approvisionnements (supply section).
  4. Supplément au London gazette du 19 octobre 1948, "AIR OPERATIONS BY AIR DEFENCE OF GREAT BRITAIN AND FIGHTER COMMAND IN CONNECTION WITH THE GERMAN FLYING BOMB AND ROCKET OFFENSIVES, 1944—1945."
  5. Dossier 72AJ/4141 des archives nationales faisant partie du dossier «Sherrington».
  6. Dossier 72AJ/488 des archives nationales faisant partie du dossier «Sherrington».
  7. Seul Hitler avait le pouvoir de déplacer toute une division de réserve de cette nature
  8. Selon Anthony Cave Brown, le plan initial du Pr Zuckermann avait prévu le bombardement de 80 cibles ferroviaires de l'Europe occidentale pendant 99 jours. ("La guerre secrète" ou "The rempart of Lies" d'Anthony Cave Brown, tome II (Le jour "J" et la fin du IIIème Reich) Chapitre VIII, p 124) de l'Edition du Pygmalion (Paris)
  9. Dossier 72AJ/505 des archives nationales faisant partie du dossier «Sherrington».
  10. "CROSS-CHANNEL ATTACK" chapitre 5 (pp. 223, 224), par Gordon A. Harrison, CENTER OF MILITARY HISTORY UNITED STATES ARMY (service historique du Pentagone), Washington DC, 1993.
  11. Ce rapport est pratiquement reproduit dans le tome II du livre de Pierre Nord (ex colonel Brouillard) "Mes camarades sont morts" (voir notamment p. 156, et pp 163 et 165 de l'édition "J'ai lu").
  12. Voir le Tome 1 du livre de Pierre Nord (ex colonel Brouillard) "Mes camarades sont morts" (pp. 265 à 273 de l'édition "L'ai lu")


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dernière mise à jour le 28 avril 2015.